VIENDRA, VIENDRA PAS

D’abord, je l’embrasserai et je la serrerai contre moi.

Aussi fort que je peux. Et puis après, je recommencerai ! Encore et encore  ! Et puis après, sans la lâcher, nous irons manger un morceau. Je crois que j’aurai de nouveau faim !

Mais pourquoi donc est-ce que les gens sourient quand ils passent à côté de moi ? Bien sûr, je tiens maladroitement un bouquet de fleurs à la main. Un petit bouquet, car je n’ai pas beaucoup d’argent. Mais pour elle, rien n’est trop beau ! Oh non ! Pour son retour, j’ai fait un effort et je me suis mis sur mon trente-et-un. Comme jamais. Et je me sens fier d’être ainsi bien habillé. Puisque c’est pour elle.

Deux gamins morveux tirés par une vieille femme passent devant moi et se retournent en ricanant et en me montrant du doigt. Les imbéciles ! Je me contente de hausser les épaules et de détourner la tête. Inutile de me laisser agacer par ce genre de détails. Personne n’est à ma place, et j’en suis ravi, même si j’attends sur ce quai de gare depuis près d’une heure. Mais j’ai tenu à partir tôt de la maison, au cas improbable où le train serait en avance.

Je l’aime ! Mon Dieu comme je l’aime ! Comme je n’ai encore jamais aimé personne ! Depuis le premier regard ! Et j’ai su qu’elle aussi m’aimait et m’aimerait toujours ! Du moins je le croyais jusque là ! Jusqu’à ce qu’elle parte, qu’elle me quitte !

Pourquoi est-elle partie ? Elle me l’a dit, mais jusqu’au dernier moment, j’ai cru qu’elle renoncerait, qu’elle resterait, que j’étais ce qu’il y avait de plus important dans sa vie ! Un mois ! Voilà un mois qu’elle m’a quitté, alors que son absence n’était prévue initialement que de quelques jours. Et puis elle a retardé son retour, le remettant plusieurs fois. A-t-elle rencontré quelqu’un ? Un autre homme, qu’elle va aimer et qui va me remplacer ? Non, je ne le supporterais pas !

Et si elle ne revenait pas ? Si sa dernière lettre n’était qu’une façon de rompre les ponts, un faux espoir destiné à me faire patienter, encore et encore ? Ce n’est pas possible, et pourtant, si cela était ? Partir si brusquement, refusant que je l’accompagne malgré mes supplications, ne donner que de brèves nouvelles trop espacées, trop rassurantes. Eluder mes questions et m’abreuver de serments d’amour, peut-être faux !

Quand elle reviendra… Non, si elle revient, alors, je pardonnerai tout ! Je ne lui demanderai rien, ni la plus petite explication, ni la moindre justification ! Elle sera là, je l’accepterai sans mot, sans reproche !

L’effervescence dans la gare se fait tout à coup plus importante. J’ai un tressaillement d’espoir, mais le train qui pénètre maintenant dans le grand hall n’est pas le bon. La provenance annoncée par les haut-parleurs n’est pas celle espérée.

Je soupire d’impatience. Je danse d’un pied sur l’autre, sans pouvoir me calmer. Je regarde tout autour de moi, au cas où j’aurais manqué l’arrivée. Mais nulle part n’apparaît la silhouette si familière. Elle ne viendra pas ! Je le sens !

Dans ce cas, je ne pourrai jamais plus vivre, plus dormir, plus manger, plus aimer ! Je ne pourrai plus…

C’est alors qu’une voix si mélodieuse, une voix qui ne pouvait appartenir qu’à un ange commence à parler dans le micro. Je cesse de respirer, pour écouter de tout mon être. Oui ! C’est elle ! C’est lui ! Le voilà ! C’est son train ! Il arrive ! Il est là ! Il entre en gare !

Trop lentement, le train s’avance, au ralenti, et semble ne jamais vouloir s’arrêter. S’il fait mine de continuer ainsi, je le stopperais tout seul, juste avec mes mains. Mais non ! Pas besoin ! Il s’immobilise, et déjà, des voyageurs pressés commencent à en descendre. J’essaie de voir en même temps l’ensemble des wagons, toutes les portières. J’en ai le tournis, mais je ne veux pas risquer de la manquer.

Ma poitrine se serre de plus en plus. Je ne la vois toujours pas, et la foule a commencé à se disperser. Elle n’y est pas ! Elle n’est pas venue ! Elle m’a abandonné !

Derrière moi, un cri. Un appel. Mon nom. Je me retourne sans vouloir y croire, mais avec le cœur gonflé d’espérance ! Et puis non, ce n’est pas elle ! Ce n’est pas… Mais si ! C’est elle ! Elle est là ! Là, je la vois ! Là ! Regardez donc ! Souriante, belle, si belle ! Elle, qui pose sa valise sur le sol, et qui attend. Qui m’attend !

Je lâche la main qui me retenait jusqu’alors, et criant son nom à pleins poumons, je cours vers elle pour me jeter dans ses bras, ses merveilleux bras si accueillants !

Elle s’arrête alors, sourit dans une illumination de son visage si fin, et j’aperçois deux larmes qui parviennent au coin de ses paupières. Elle se baisse, écarte grand les bras pour me recevoir. et j’y atterris si fort qu’elle en est presque déséquilibrée dans un éclat de rire. Je me serre contre sa poitrine, et j’enfouis ma tête au creux de son cou. Le bouquet, lâché pendant la course, gît lamentablement sur le sol, mais les fleurs ne m’en veulent pas, elles comprennent mon émotion.

Maintenant, je suis bien, rassuré. Je peux pleurer de bonheur sans retenue et sans honte du haut de mes quatre ans.

«  Maman ! ! » 

FIN