TARANTULA ETERNAM

TARANTULA ETERNAM

DE BERNARD GROUSSET


CHAPITRE I

*

Le petit homme se tenait prostré dans la pièce obscure.

Pourtant le soleil d’été resplendissait au dehors, baignant, malgré l’heure matinale, les rangées d’arbres fruitiers, pêchers et abricotiers, qui s’étendaient à perte de vue dans la petite vallée.

La chambre restait toutefois dans une épaisse pénombre, obscurité due aux volets et rideaux hermétiquement clos depuis la veille au soir. Des restes de bougies complètement fondues attestaient que pendant une partie de la soirée précédente et de la nuit, quelque lueur était temporairement parvenue à vaincre les ténèbres.

Il était assis, ratatiné, recroquevillé, les coudes sur les genoux, ses mains enserrant convulsivement son front, comme s’il désirait écraser son crâne, ou au moins y laisser des traces indélébiles. Les larmes coulaient le long de son visage, non pas en flot continu, mais l’une après l’autre, chacune à leur tour suivant le chemin de la précédente.

Sa vision, floue et déformée, faisait apparaître les objets à travers un brouillard. Brouillard rouge, comble de l’ironie du sort !

Enfin, la source de larmes se tarit, le petit homme se secoua, se leva difficilement sur des jambes ankylosées par l’immobilité prolongée ainsi que par l’arthrite due à la vieillesse. Il fit quelques pas maladroits et entreprit de rallumer un reste de chandelle. Allons, il devait se secouer et continuer. S’attendrir sur son malheureux sort ? Pas encore ! Il n’avait pas complètement achevé la tâche qu’il s’était fixée. Après, tout serait plus simple. Il rentrerait chez lui, dans un premier temps, puis il laisserait Dieu décider de son destin.

Il posa devant lui une feuille de vélin vierge, reprit la plume d’oie qui, en tombant sur le dessus du bureau, y avait laissé des éclaboussures d’encre, maintenant séchées, et regarda dans le vide, au loin, comme un écrivain en mal d’inspiration.

Inconsciemment, il se mit à marmonner.

« Fou de Chantelauze ! Pourquoi as-tu fait cela ? Par intérêt, tel que je te connais ! L’appât du gain ! Mais après ? Impossible que ce soit la seule cause ! Et ces mensonges, pendant toutes ces années ! Si encore tu avais emporté ton secret dans la tombe, mais même pas ! Tu n’as même pas eu cette élémentaire correction ! Me le révéler sur ton lit de mort ! A moi ! Ton maître à qui tu devais obéissance et fidélité ! A qui me confier à présent ? A qui faire confiance ? Je n’ai pas de descendance directe, ma chère Isabelle, ma seule et unique compagne, ne m’a jamais donné d’enfant. Ce n’était certes pas sa faute, je le sais bien, mais la punition a été grande pour une faute bénigne. »

« Je n’ai donc plus de famille. Sauf un cousin éloigné et ses enfants, dans le nord du pays de France. Est-ce le hasard ou une ironie du sort, mais l’un d’entre eux porte le même nom que moi. Je vais lui léguer toute mon œuvre, et s’il est suffisamment intelligent, il comprendra et reprendra ce flambeau. Sinon, et bien, le Ciel décidera ! Faisons-Lui confiance. Notre époque n’est pas prête pour ces révélations. »

Reprenant ses esprits, il regarda sa plume, puis la trempa dans l’encrier, et après quelques instants de réflexion, se mit à écrire. De temps à autre, il émettait un petit rire grinçant.

« Eh bien, je m’en vais leur en faire voir de toutes les couleurs. Ils devront mériter ce que je leur offre ! Comme on disait en 89, je vais être un peu, et même foutrement sadique ! »

Il se remit au travail.

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