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L'ENFANCE RECOUSUE

DE BERNARD GROUSSET



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CHAPITRE I

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Il était une fois... Non. Ca va pas.

Quand ça commence comme ça dans les livres, ça finit toujours bien. Et là, c'est mal !
Moi, c'est Armelle. Deux "l", "e". Comme j'ai appris à l'école. Je sais presque lire. Des fois. Pas tout le temps. J'ai huit ans. Je suis presque aussi grande que maman. Une copine à l'école elle m'a dit que les grandes filles elles écrivaient beaucoup. Des "journal". Elle le sait parce qu'elle a une grande soeur. Et sur son journal, elle parle de sa vie. Et surtout des garçons. Moi je sais pas pourquoi elle parle des garçons. Je les aime pas. Ils sont méchants. Ils me tirent les cheveux et me font tomber. Et ils disent de vilaines choses.

Je voudrais bien faire des "journal" pour raconter ma vie. Mais je sais pas bien écrire. Le docteur, il a dit que je devais parler pour me libérer. J'ai pas compris. Mais j'ai bien aimé parce que maman m'a donné un truc pour enregistrer. C'est marrant. D'abord on peut écouter des cassettes de musique. Et puis aussi, si on met une autre cassette, et moi je sais comment faire, on peut rentrer sa voix. Et après la faire ressortir comme la musique. C'est pas pareil mais presque. Je sais pas bien expliquer. Mais c'est ce que le docteur à dit de faire. Il a dit à maman que j'étais retardée. Pas grave encore, mais assez traumatisée pour que je devienne "otisse".
Là non plus, j'ai pas compris. Mais j'ai pas aimé parce le docteur il a crié maman. Je veux pas qu'on fasse de la peine à maman ! Mais mettre ma voix dans ce maguéno... magnéno..., enfin ce truc, c'est marrant. Alors je raconte tout ce que je veux. C'est drôle et ça me fait bien rire. Je fait comme les animaux. Le chien, le chat, même la vache que j'ai vu à la télévision.Et puis je raconte ce qui m'est arrivé. Là, c'est plus drôle du tout. Je m'arrête souvent, parce que je me mets à pleurer. Alors je m'arrête et je rentre dans moi. Je ferme les yeux et je reste toute seule en imaginant le soleil et des gens gentils partout. Alors les gens qui me parlent, je ne les entends plus. Et je les vois plus. Mais aussi des fois, je me rappelle des choses qui me font encore plus mal, et je peux pas les faire partir. Alors je veux crier, mais je peux pas non plus. J'ai mal. J'ai peur. Alors je parle au truc.La première fois, son doigt était tout gros, avec l'ongle noir. Ca m'a fait très mal ! Même que j'ai saigné ! J'ai pleuré. Beaucoup ! Beaucoup ! Il m'a dit de me taire, et comme je pleurais encore plus, il m'a giflé !
- Tais-toi donc petite idiote, qu'il ma dit ! Et si tu vas dire quoi que ce soit, ta mère sera très malheureuse ! Et elle ne t'aimera plus !


Moi, je veux que maman elle m'aime ! Autant que je l'aime ! C'est la plus jolie des mamans ! Alors j'ai trouvé ! Quand il vient, j'écarte fort les jambes, et comme ça, j'ai moins mal ! Et puis lui il est content. Il dit que je suis une bonne petite, et que bientôt j'aimerai encore mieux. Il dit que je suis une petite salope. je ne sais pas ce que ça veut dire, mais ça doit être gentil, car il le dit souvent aussi à maman. En tout cas, je n'aime pas du tout. Une fois aussi, j'avais très peur, et il me faisait mal. Alors, je n'ai pas pu me retenir, et je lui ai fait pipi dessus. Il m'a encore giflé, et il a essuyé sa main sur ma figure et sur ma chemise de nuit. Et puis il a dit que parce c'était comme ça, je resterai toute la nuit dans le lit mouillé ! Et que demain matin, il dirait à maman que j'avais fait pipi au lit, comme un bébé ! Et que je serai punie. Je ne veux pas ! Je ne suis plus un bébé ! Je suis grande, j'ai huit ans ! Enfin, non, c'est pas vrai, je ne les aurai que dans trois mois. Mais maman elle sera triste, et je ne veux pas ! Mon papa de maintenant, il rira et se moquera de moi ! Il m'appelera fille de débile, pisseuse, et aussi bébé merdeux !Lui, c'est l'ami de maman. Il habite avec nous, et il boit beaucoup. Maman l'aime sûrement beaucoup, car elle lui donne toujours de l'argent. Il doit être pauvre parce qu'il dit qu'il n'en a jamais pour jouer ! Si j'en avais, moi aussi je lui en donnerais pour qu'il soit content. Mais j'en ai pas, et de toute façon, je trouve pas marrant de jouer avec de l'argent. Et qu'il arrête de crier et de taper maman. Et moi !


Mes amies, à l'école, elles disent que ma maman elle est débile. Je ne sais pas non plus ce que ça veut dire, mais ça doit pas être gentil, parce que ça fait rire tout le monde, même mes meilleures amies !Mon papa, je ne l'ai jamais vu. Mon premier papa. Parce que moi, je change de papa quand je veux. Ou quand maman veut ! J'essaie de les aimer, et je les appelle papa. Mais beaucoup ne veulent pas ! Il m'appellent sale gamine, et souvent ils me tapent ! Surtout celui de maintenant ! Il boit sans arrêt quand il est à la maison. Et il est souvent à la maison. Pas toujours. Des fois, il est au café en bas ! Il joue. Moi, il ne veut pas que je joue aux mêmes jeux que lui. Il les appelle les cartes et le tiercé. Mais ses amis ne doivent pas beaucoup l'aimer, parce qu'il ne gagne jamais !
Des fois, quand il oublie de rentrer, maman va le chercher au café, et l'aide pour remonter ! Il dit qu'il n'a pas de chance, qu'il est au chômage, mais qu'un jour on verrait bien.


Quand il remonte du café en bas, souvent, il est très énervé et il crie maman. Moi aussi, il me crie. Une fois, il est arrivé quand je faisait mes devoirs, et il s'est appuyé sur ma chaise. il est devenu tout blanc et il a vomi ! En plein sur mes cahiers ! Et un peu sur mes cheveux. Mes cheveux, je les ai lavés. Mais pas mes cahiers ! La maîtresse, à l'école, elle n'a pas voulu les toucher, et elle s'est bouché le nez ! Elle m'a dit de les jeter dans la corbeille, et que de toute façon, je n'étais qu'une fille de débile, ivrogne en plus ! C'est pas vrai du tout ! Maman n'est pas une ivrogne ! Mais toute la classe a rit, et moi j'ai pleuré. Alors la maîtresse m'a dit de rentrer chez moi. Elle a appelé maman qui est venue me chercher. En partant, j'ai vu que maman pleurait, aussi. Les gens sont méchants de faire pleurer ma maman !Mon papa de maintenant, je ne l'aime pas. Le soir, quand maman n'est pas là, c'est lui qui me couche. Souvent, il s'allonge à côté de moi, et il me caresse. Maintenant, il a trouvé un nouveau jeu. Il dit qu'il a le droit, mais qu'il ne faut pas en parler, parce que mes amies seraient jalouses. Il met son doigt dans ma chose, et rentre, et sort. Il me demande aussi de toucher son zizi. Mais là je vois bien que c'est pour rire. J'en ai déjà vu des zizis à l'école. Souvent, les garçons de ma classe déboutonnent leur pantalon devant moi, et je vois leur zizi. On dirait un petit robinet. C'est drôle, ils ne le font jamais avec mes amies ! seulement avec moi. Peut-être qu'ils me préfèrent moi !En tout cas, mon papa de maintenant, lui, il me dit de toucher le sien, mais à la place, il a un gros bout de bois tout dur, plein de poils autour.
Il me dit de mettre mes mains autour et de l'astiquer, comme il dit. Alors, il a l'air content. Une fois, il a voulu que le le prenne dans ma bouche, comme une glace. Je ne voulais pas, mais il m'a donné une taloche. J'ai pleuré, et il est devenu méchant. Son bout de bois était tout rouge, et lui il transpirait. Alors j'ai essayé. Mais ma bouche était trop petite, même en l'ouvrant toute grande, et sans faire exprès, je l'ai mordu ! Il a crié, et m'a serré la gorge en disant de ne plus jamais faire ça, sinon il me tuerait ! Puis il a dit qu'on attendrait que je grandisse un peu, et puis d'autres mots, mais sûrement des vilains mots, alors je ne veux pas les répéter !


Quand il me touche, il transpire beaucoup, et puis quand maman rentre, il se jette sur elle et lui tombe dessus sur le lit. Là, je crois qu'il la bat, parce qu'elle dit "Non, pas maintenant, pas devant la petite " ! Et lui il répond, "il faut bien l'éduquer, ta merdeuse ! Après, maman ne dit plus non, elle gémit, et puis elle crie ! Et puis, mon papa de maintenant, il remonte son pantalon, et il descend au café. Il dit que ça lui donne soif !


Là où j'ai le plus peur, c'est quand il me bat, et que j'ai les bras tout bleus, et des marques sur la figure. Parce qu'alors il dit de faire attention, et de dire à l'école que je suis tombé en jouant. Pourtant je ne joue pas ? Ils ne veulent pas que je joue dedans la maison, et ils m'interdisent d'aller dehors ! Sauf quand ils sont fatigués et qu'ils vont se reposer un moment sur le lit. Quand ils font ça, ils doivent être vraiment très très fatigués, parce qu'ils gémissent tous les deux. Un peu comme quand c'est mon papa qui s'allonge sur moi, dans mon lit, et que j'ai très mal. J'ai honte. Je sais pas pourquoi, mais je sais que c'est pas bien. J'en ai jamais parlé à l'école à mes amies. Ni à la maîtresse. Parce que déjà elle me regarde avec des yeux tout bizarres quand elle voit mes marques. Mais ma maîtresse elle est toute petite, pas bien plus grande que moi, comme maman, et je crois qu'elle a peur de mes papas. Une fois, il y en a un qui est venu me chercher à l'école. Elle a voulu dire quelque chose, mais mon papa il s'est fâché et lui a dit de s'occuper de son... de ses... enfin vous voyez ! Alors, elle a plus jamais rien dit ! Elle ose pas, et en plus elle m'en veut pour ça ! Mais moi, j'ai rien fait de mal !L'autre jour, maman était partie travailler. Elle travaille beaucoup. La journée, et aussi souvent tard le soir. Je me lève toute seule le matin, et je m'habille vite et je pars avant que mon papa soit levé. J'ai le temps. Je crois que comme il est toujours fatigué, il reste au lit jusqu'à midi. Et le soir, c'est lui qui me couche. Mais je ne veux plus en parler.


Oui, alors l'autre jour, c'était mercredi. Je n'ai pas d'école le mercredi. Souvent, ces jours-là, je reste dans ma chambre pour faire mes devoirs. Papa reste aussi à la maison, et là, deux de ses amis sont venus. Je les connaissais. Ils viennent des fois voir papa, et ils amènent beaucoup à boire. Ils rient tout le temps, et après, ils viennent tous dans ma chambre. Et ils jouent avec moi. Je n'aime pas. Ils me font déshabiller, "pour rire", et puis ils me font toujours les mêmes choses. Moi je dis plus rien. Je me laisse faire, et c'est fini plus vite. Après je pleure. Beaucoup.
Mais cette fois, ils avaient amené à fumer. Papa, il fume beaucoup, et il sent mauvais. Là, ce n'était pas la même odeur. Ils m'ont fait les choses, et après, ils ont voulu me faire aussi fumer. Pour rire. Pour m'apprendre. Je ne voulais pas, mais ils m'ont tenu. Et ils sont forts. Alors j'ai aspiré la fumée.Et puis j'ai vomi. Sur eux. Ils se sont énervés et m'ont tapé. Longtemps. Je me suis mise à saigner, et ma tête a tapé contre le mur. Ils m'ont même donné des coups de pied.


J'ai eu très très mal au ventre, à la tête et au bras. Alors j'ai hurlé. Ils m'ont secouée pour me faire taire, mais je pouvais plus m'arrêter. Et puis maman est arrivée. Elle avait fini de travailler plus tôt que d'habitude.
Elle aussi, elle s'est mise à hurler contre papa. Les autres sont vite partis, mais papa et maman ont continué à crier. Papa a battu maman, et moi après je ne me souviens plus de rien. On m'a dit que les voisins avaient appelé la police, et puis les pompiers. Moi, je me suis réveillée dans une chambre toute blanche.
Ils m'ont dit que j'étais à l'hôpital, et que maintenant je ne risquais plus rien. Mais moi je veux revoir maman. Le docteur m'a soigné mon bras. Je crois qu'il est cassé. J'ai aussi tout plein de pansements autour de la tête. J'ai encore très mal.


Des messieurs sont venus pour me poser des questions. Ils ont dit que ma maman et mon papa étaient en prison. Papa, je m'en fiche. Mais je veux ma maman. Alors, j'ai encore pleuré.Je suis toujours à l'hôpital. Mon bras va bien. Ils ont enlevé mon plâtre. C'est dommage, parce que je l'aimais bien, avec tous ces dessins dessus. Ma maîtresse et toutes mes amies de l'école sont venues me voir, et elles ont toutes dessinées quelque chose dessus. Ma maîtresse, elle faisait semblant de rire, mais elle avait quand même l'air triste. Même qu'après un moment, elle s'est mise à pleurer et elle est partie en courant. Elle disait :
- Mon Dieu, oh mon Dieu, la pauvre enfant !J'ai un nouveau docteur qui s'occupe de moi. Lui, je l'aime pas. Il m'emmène dans son bureau et me parle. Il veux aussi me faire dire des choses que j'ai pas envie. Alors je dis rien. Je l'aime pas parce qu'il transpire tout le temps, et il s'essuie le front et le cou avec son mouchoir. Et il est gros. Son menton dépasse du col de sa chemise et il respire toujours très fort. Un peu comme mon papa quand...


Mais surtout je l'aime pas parce que quand je dis rien, eh bien il dit rien non plus. Il enlève ses lunettes et il les essuie avec son mouchoir de transpiration. Et il me regarde avec ses petits yeux. Et je n'aime pas ses yeux. Oh non ! Alors je me rentre dans moi et je ferme mes oreilles. Et je pense à maman. Je veux la revoir. Elle me manque. Même si ici les gens sont gentils, les infirmières surtout. Elles sont grandes et belles et s'occupent beaucoup de moi. Mais je veux rentrer. Quand je leur demande quand je vais retourner à la maison, elles disent comme ma maîtresse : "Oh, la pauvre enfant". Je comprends pas.

Ca y est ! Je suis partie de l'hôpital. J'étais toute contente quand on m'a dit que j'allais partir, je croyais que j'allais revoir maman. Mais non ! J'ai pleuré et j'ai crié, mais maman n'est pas venue. Je suis allée dans une maison où il y a tout plein d'autres enfants. C'est bien pour jouer avec si on veux, mais moi je veux pas. D'abord parce qu'ils sont tous tristes et pleurent souvent. Et puis moi, j'ai pas envie de jouer. Maman n'est pas encore venue me voir. J'ai un lit à moi et des poupées, mais ici, ça sent mauvais. Pas comme l'odeur d'hôpital, mais plutôt une odeur de tristesse, de chagrin.

Je suis mal.
 
 
 
Je veux ma maman.
Je pleure.

 

 
 

 


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